mercredi 31 août 2016

Stalingrad mon amour

























Depuis 1 an je m'intéresse à l'histoire du Front de l'Est durant la seconde guerre Mondiale, c'est à dire la guerre entre le Troisième Reich et  l'ex URSS, ayant quelques liens de parentés avec ce pays, mon arrière grand père, naturalisé Français en 1916, et mon grand père paternels étant nés à Nikolaïev, en Ukraine. Cette attrait pour cette période avait une facette  historique, comprendre les faits et  aussi une facette cinématographique, comment relater ces faits.

De part le système éducatif et médiatique (je me rappelle de la sacro sainte  journée spéciale « Jour J » le 6 juin sur Europe 1 dans les années 1970, et du visionnage familial tout aussi religieux du film « Le jour le plus long »), et mon absence de sens critique, la doxa était que  les Américains se soient sacrifiés (Omaha la sanglante) pour libérer l’Europe et que ce sont les Américains et leurs alliés qui ont vaincus Hitler.  La guerre à l'Est me semblait lointaine, presque secondaire. En fait, c'est juste le contraire. 

Ce sont les Russes qui ont vaincus Hitler, qui ont brisé les reins de la Wehrmacht,  fin 41 devant Moscou, début 1943 à Stalingrad,  juillet 1943 à Koursk. Le front de l’Est a été le principal front pour le Troisième Reich, 80% des pertes la Wehrmacht  fin 1944 était du au Front de l'Est. Et en terme de sacrifice les chiffres donnent le tournis : 
Pertes militaires  
URSS : 11 millions / USA sur les 2 fronts Europe et Pacifique :  420 000 (Europe : 183 000) 
Pertes civiles : URSS : 14 Millions / USA : Non significatif
Proportion morts des pertes civiles et militaires par rapport à la population de 1939 : URSS : 14 % / USA : 0,32% 

 C'est à Stalingrad que la Seconde Guerre Mondiale à basculé ;  le 2 février 1943 la VI Armée Allemande commandée par le Maréchal Paulus capitule et se rend à l’Armée Rouge. Encerclée par les Russes depuis le 19 novembre 1942, Goering pensait ravitailler les 320.000 hommes de cette Armée par un pont aérien, délivrant 500 tonnes par jour de nourriture, de carburant, de munitions. Mais Hitler et ses généraux étaient coupés de la réalité, cloîtrés dans leurs salles d’Etat-major et leur idéologie. 

Sur le terrain la réalité est tout autre: La défense antiaérienne Russe est efficace et nombreuse, l’aviation Russe de plus en plus hardie, le mauvais temps, le froid intense, le manque d’avion de transport de grande capacité réduit le tonnage apporté à 95 tonnes jour.  Et la 62 ème Armée Russe commandée par Vassili Tchouïkov qui ne cesse de mener une guérilla urbaine et livre le combat jour et nuit, bien que tenant plus que 10% de la ville, acculée à la rive occidentale de la Volga. Sur l’autre rive, l’Artillerie Russe pilonne sans cesse les positions Allemandes.

Alors, la VI Armée qui avait foncée durant l’été 1942 dans les steppes du Don, en une glorieuse, orgueilleuse et frénétique chevauchée mécanisée, meurt de faim, de froid, de maladie, d’épuisement physique et moral, autant que par les combats.

Le 2 février 1943, Stalingrad est silencieuse. Le Maréchal Paulus signe le capitulation Allemande. Les Nazis ont été vaincus.
Les Allemand ont perdus 180.000 hommes, auxquels il faut rajouter les pertes de leur alliés : Roumains : 35.000 ; Italiens : 27.000 ; Hongrois : 30.000. 

90.000  survivants sont fait prisonniers, dont 25 généraux,  seulement 6000 retrouveront l’Allemagne parfois plus de 10 ans après la fin de la Guerre.  

Les Russes ont 480.000 tués, 630.000 blessés. En 6 mois. Pour une bataille. A titre de comparaison, les Américains auront  pour toute la guerre et sur les deux fronts (Europe / Pacifique)  420.000 morts dont 183.000 en Europe. 40.000 civils sont morts à Stalingrad, Staline ne voulait pas évacuer la ville pour que les habitants puissent être incorporés aux combats et que les soldats ne se battent pas pour une ville vidée de ses habitants.

Si on continue de fêter, à juste titre, le 6 juin 1944, il faudrait tout autant,  fêter le 2 février 1943, pour rendre hommage et honneur aux combattants de l’Armée Rouge pour cette victoire qui influença d’une manière décisive le cours de Seconde Guerre Mondiale et notre présent destin collectif et individuel.

Il faudrait les honorer doublement car la guerre menée par les Nazis contre l'URSS n'est pas une "simple" guerre d'invasion et d'occupation comme celle menée en France, non c'est une guerre d'anéantissement, d’annihilation. d'extermination de l’URSS,  sur un plan militaire (anéantissement de l’Armée rouge), politique (destruction des institutions de L'Etat), humain (extermination de millions de civils  ) et économique ( pillages, mise en esclavage de la population pour servir  la, production Allemande, destruction des infrastructures non nécessaires au Reich).  Et tout cela a été minutieusement préparé, planifié, formulé dans  le « Schéma directeur pour l’Est » (Generalplan Ost) qui fut élaboré  dés 1939 par Hitler et la Haute Administration Nazi pour définir une « Nouvelle Europe ».  Du 22 juin 1941, début de l’invasion, jusqu’à décembre 1944, 14 millions de morts civils, dont 2,8 millions de Juifs, furent assassinés, il n’y a pas hélas d’autre mot, (massacres, famine organisée, bombardements) par la Wehrmacht et les Einsatzgruppen. 



On peut  dire que la guerre contre l’URSS est, au niveau de la Seconde Guerre Mondiale une guerre à elle seule tant elle diverge des autres théâtres d’opérations en terme  de but et d'échelle de pertes, de destruction, de crimes de guerre.

Ce n’est pas un discours pro modo pour l’URSS de Staline, je n’oublie pas la terreur qu’il instaura envers son propre peuple et sa culpabilité dans la mort de millions de morts de famine (Ukraine) ou au Goulag. Ni son machiavélisme en abrogeant la fonction des Commissaires Politiques durant  la bataille de Stalingrad, pour laisser faire les Militaires et la rétablir une fois la victoire acquise. Quelque jour après la Victoire, dans Stalingrad qui n’était que ruine et désolation, le NKVD installait déjà ses nouveaux bureaux. 


Il est donc indéniable, incontournable que ce sont les Russes qui ont vaincus les Nazis et donc libérés l’Europe ce sont eux les vrais vainqueurs en Europe,  même si l’aide matérielle Américaine à contribué à la victoire de l’URSS, qui a quand même transféré 1500 usines de la Russie de l’Ouest  en Oural et en Sibérie  avec la manière féroce de Staline. 

Ce sont les faits qui ont été effacés par le story tellling Franco Américain durant la Guerre Froide et l’Histoire a été re-écrite en faveur des Américains, cette falsification étant amplifiée et élevée en dogme par les médias  de tous bords. L’Ifop,qui fut créé en 1938, avait fait un sondage en mai 1945. A la question » Quelle est, selon vous, la nation qui a plus contribué à la défaite de l’Allemagne en 1945 ? » : 57 % indiquait l’URSS, 20% les USA, 12% le Royaume uni. En 1994 les opinions basculaient : 25% indiquaient l’URSS, 49% les USA, 16% le Royaume-Unis. Ceux de 2004 et de 2015 consolidaient cette tendance.

Ce savoir et cette perspective Historique, je l'ai acquis par la lecture, l'écrit, les mots. Peu par l’image étrangement pour un cinéaste. Les documentaires ne donnent qu'une vision étriquée, partielle de ce fut cette bataille. Excepté l’excellent documentaire « Stalingrad" de Pascale Lamche et Daniel Khamdamov, qui permet d'appréhender globalement  d'une manière didactique et avec recul cet événement dans ses différents aspects, les autres que j'ai vu, n'offrent qu'une vison parcellaire, toujours bâtie autour d'une quinzaine de témoignages enrobés d'images d’archives, parsemée  « d’anecdotes», où l’image (usage du lance flamme)  domine par rapport à la réflexions, où l’on passe de la force de l’image, à la farce de l’image  On apprend pas, on regarde.

Le pompon revient sans aucun doute à la série  « Apocalypse » de France 2 et l’épisode N°5  « l’Etau » qui couvre les années 1942/1943 et donc la bataille de Stalingrad . C’est l'Histoire à la sauce du « journal de 20H »,  l’Histoire de grande consommation, la culture d’Hypermarché avec un commentaire bâti sur des formules choc et creuses  (« l’enfer de Stalingrad »), des raccourcis historiques qui frisent l’approximation, une sous estimation flagrante ( consciente je pense) de la guerre en Russie pour une mise en avant des victoires Anglo Américaines (E Alamein, Afrique du Nord, débarquement de Sicile). De plus l’interprétation du commentaire par Mathieu Kassovitz renforce cet aspect marketing. Lui qui, à juste titre, enculait le cinema Français « pour ses films de merde « lors des Césars 2012, devrait aussi s'adonner à la sodomie sur ce type de produit auquel il participe. 

Pour les films traitant de Stalingrad, je n'ai vu que « Stalingrad » de Joseph Vilsmaier sorti en 1993,  je pense que c’est le moins pire des films ayant Stalingrad comme sujet. Il donne une perception de la désintégration physique, morale et  tactique de la Wehrmacht à Stalingrad. Dommage qu’à la fin du film, il n’est indiqué que les pertes Allemandes

Au vu du scénario des deux autres films sur Stalingrad je me suis abstenu de les regarder :
  • « Stalingrad, L'ennemi aux portes » sortie en 2001 de Jean-Jacques Annaud, (histoire d’amour sur fond de guerre urbaine agrémentée d’une lutte entre snipers Russes et Allemands ).
  • « Stalingrad » de Fiodor Bondartchouk ( histoire d’amour sur fond de guerre urbaine et de Maison Pavlov), film en 3D  IMAX sorti, en 2013. 

Mais le film de Joseph Vilsmaier reste dans le classique narratif en suivant le parcours de guerre d’un bataillon, et en chargeant les personnages de symbole qui ne font pas dans le subtil : Le général sadique, le capitaine bête de guerre, le jeune et beau lieutenant aux grand d’idéaux, les soldats camarades.  Des dialogue caricaturaux (un officier dit qu’il n’est pas nazi, son ami simple soldat lui répond que les officiers ont suivis Hitler), pour aborder des problématiques complexes et difficiles. Un tel dispositif dramatique dans un livre en ferait un roman de gare, mais pour un film cela est apprécié  et fait un succès au box office. Etonnant.

On y trouve aussi un élément récurrent du langage cinématographique du film de guerre/action, comme signature d’une belle image soignée : un plan séquence en un long travelling  dans un endroit remplis de mouvement de véhicules, d’hommes, et où les/le personnage central se fraye difficilement un chemin. Là aussi l’équivalent en écriture de cette facilité de mise scène,  serait conspuée, mais dans le film on trouve cette séquence « belle et impressionnante ».

Au niveau de l’écrit, l’incontournable Wikipedia offre une vision globale du Front de l’Est avec une série d’articles de grande qualité sur les batailles, mais aussi sur le ‘Generalplan Ost’, les crimes de guerres.

Les 600 pages du livre d’Antony Beevor, « Stalingrad »  donne de cette bataille une vision que l'image n'égale pas, ne peut égaler dans l'enchaînement,  la compréhension globale, la précision des descriptions sans pathos, ni recours à la personnalisation.

A l’inverse, » Stalingrad » de Theodor Liever « est construit sur la personnalisation complète (basée sur des récits de prisonniers Allemands) qui donne à ce livre des allures de roman. Mais à force de rentrer dans le détail, de donner à voir la particule élémentaire de la réalité des horreurs, il nous fait perdre la compréhension systémique de cette bataille,  et oblitère en fait  les conséquences de l’aveuglement idéologique d’Hitler et de ses généraux.

Le livre « Stalingrad » de Jean Lopez (éditions Economica) est remarquable à plus d’un titre. Il  croise d’une manière didactique plusieurs facettes militaire bien sûr, mais aussi économique et politique, offrant ainsi une rare vision d’ensemble de ce fut Stalingrad pour les deux belligérants. Qui plus est, en ayant peu  recours à des témoignages, c’est celui qui parle le mieux de l’extraordinaire défense des Russes durant les offensives Allemandes de mi septembre à mi novembre 1942. C’est le seul récit sur les trois qui m’a émut en retraçant par l’écriture simple, vive  et concise l’ enchaînement de ces différents combats et les sacrifices consentis par les Russes pour garder Stalingrad. 

Et puis  bien sûr « Les Carnets de Guerre » de Vassily Grossman, écrivain et journaliste, correspondant à Stalingrad pour le journal de l’Armée rouge «   Étoile rouge » de août 1942 à Janvier 1943. Remarquable témoignage, empreint d’une belle écriture, au plus près des soldats de l’Armée Rouge, de leur souffrances et de leurs espérances. De leurs âmes. Au plus prés aussi du Peuple Soviétique, des massacres des civils paysans et des  commissaires politiques et les massacres encore plus sauvages des Juifs d'Union Soviétique (dont sa mère à Kiev) dont il a consigné le témoignage des  survivants  dans "Le Livre Noir". Ce livre sera interdit après guerre en URSS, la politique officielle soviétique ne reconnaissant pas la spécifié du génocide des Juifs par rapport au reste du Peuple Soviétique, alors que  les Nazis eux l'avait théorisé et mis en œuvre en Europe...

 Est ce à dire que l'Image ne peut contribuer à l'Histoire ? Non, car il y a une autre approche, une approche basée sur l'émotion, le décalage, qui sans pouvoir se comparer à l'écrit, saura apporter une réflexion sur l'événement et c'est quand même cela la finalité il me semble. 

« Hiroshima mon amour », d'Alain Resnais sur un scénario de Marguerite Duras est je crois la juste démarche. Comme « Nuit et Brouillard », toujours d'Alain Resnais, sur les Camps de Concentration. Un films sur la guerre peut être autre chose que de montrer la guerre en fiction ou en archive, il peut aussi en parler, l'interroger. Nous interroger. 

L’abandon de l'aspect documentaire, des images d'archives, du schéma narratif basé sur le suivi d'un groupe de combattants,  d’une intrigue, permet d’accéder à un niveau de compréhension, de ressenti, de questionnent plus évolué. Plus intime. De construire, d’élaborer une pensée, un souvenir. De voir la guerre par l’âme. De forger une mémoire.


Alain Resnais s'est posé ces questions pour "Nuit et Brouillard", Marguerite Duras (et A.Resnais)  pour Hiroshima, en apportant comme réponse leur film. Je me pose ces questions au sujet de Stalingrad, et j'apporterai ma réponse sous forme d’image. Ça sera « VOSTOK » le second volet, après « NORD » de « La Tétralogie des Horizons ».

1 commentaire:

Anton Joly a dit…

Excellente analyse dont je souscris à chaque mot. De salubrité publique. Professeurs d'histoire, journalistes, écrivains, penseurs et artistes, si vous désirez des générations lucides pour ce pays prenez donc exemple sur cet article.