vendredi 20 avril 2018

La double absence












J’ai repris le manuscrit du texte que j’avais commencé à écrire sur les mains de ma mère quand elle commença sa période de fin de vie. C’était il y a deux ans.  A sa mort, je l’avais laissé en jachère, devant l’impossibilité de le continuer, devant la douleur de l’antagonisme de son absence et de sa présence dans les mots et les images. Reprendre l’écrit. Reprendre la vision des photographies de ses mains. Finir ce travail d’écriture, pour moi. Pour elle. Mais ma volonté butait encore sur la douleur de la réminiscence. L’oubli était doux, il s’était arrêté sur un de ses sourires. Alors pour mettre mon corps et mon esprit à l’unisson de cette absence, j’ai décidé de faire un jeûne de 10 jours. Deux absences ont cohabitées en moi, celle de ma mère et celle de la nourriture. Ces deux absences se sont annihilées l’un l’autre en quelque sorte, ainsi délivré de mes attaches humaines, j’ai pu écrire de nouveau.

vendredi 13 avril 2018

Le jeûne

Le corps est en jachère. Le corps est en silence. Le corps est en écoute, il rentre en résonance avec le temps, avec l’espace. Sensation d’habiter pleinement son corps, que son corps soit pleinement dans l’espace qui l’entoure. Qu’il retrouve sa juste place, sa densité première. Il n’est plus chair, il est être. Sensation d’habiter mon corps et que mon corps m’habite. Se construit, ou réapparaît serait plus juste, une continuité oubliée entre le corps et l’espace, l’un n’est plus étranger à l’autre. L’unicité renaît. La dissociation s'estompe, celle entre corps et esprit mais aussi entre intérieur et extérieur. Mon corps s'intègre dans l'espace, il est l’espace où il se meut, pense. La discontinuité du temps elle aussi s’efface peu à peu. Le temps est unitaire, simple entité, plus sphérique que linéaire. Le temps se propage, et le corps est à l’unisson de ce mouvement. Le temps ne passe plus, il s’écoule. Il s’écoute. 
Cohabitation joyeuse, apaisée et sereine entre temps et espace. Le corps au repos, mon attention se développe dans l’extérieur, les matières acquièrent une densité, une présence nouvelle. Je perçois ce qui m’était caché : un brin de lumière sur le mur, l’arrondi d’un livre, un reflet dans la fenêtre, le pli sur la main. Ma vision devient plus sensorielle que visuelle, une perception à la fois fragmentaire et globale des éléments de mon espace, mes sens sont un zoom qui m’offre, selon mon désir, une vision large ou restreint des choses, de l’espace, du temps. Retour à la granularité de la réalité, au plaisir de l’atome, mais perçue et accepté dans son entièreté.

vendredi 6 avril 2018

Le passé perd sa lumière

Quand j’ai commencé à m’intéresser au Front de l’Est, il y a bientôt 2 ans et demi, j’ai démarré par un symbole, Stalingrad. Là sur la Volga, le 2 février 1943, la VI armée Allemande se rendait, les sacrifices Soviétiques depuis le début de l’invasion Nazie en juin 1941 n’avaient pas été vains. Puis à partir de ce point  j’ai déroulé l’Histoire jusqu’à la défaite Nazie, et surtout j’ai remonté le temps pour appréhender la naissance du Nazisme depuis 1920. Je voulais me constituer une vision globale, cohérente, synthétique, presque exhaustive de cette période, notre époque se satisfaisant de fragments, de simplifications propices au mensonge. Dans cette exploration, j’ai découvert que l’Histoire s’offre en strate, qui apporte chacune son lot de vérités, d’approximations, de parti-pris, d'analyses. Il y a d’abord les livres écrits à cette époque (Le Livre Brun, Appel du Peuple Allemand, les Soldats du Marais…), qui bien mieux que la colorisation des photographies et films N&B, nous projettent dans le présent du passé. Juste après guerre (45/50), Stalingrad brille encore,  la Victoire Soviétique sur le Nazisme est un fait incontournable. Puis viennent les années 60/80, (Le jour le plus long en 1962, la série documentaire “Le monde en guerre” de la BBC en  1974) où la doxa historique Franco Anglo Américaine impose son discours falsificateur, qui perdure hélas encore majoritairement . Les années 1990 /2000 verront des retours à la vérité qui seront rendus inaudibles par une Société aveugle au passé, jouisseuse d’un présent,  qui comme la culture hors sol, n’a pas de racines. 

Dans ces strates, des plus anciennes au plus récentes, l’Histoire perd en émotion, devient plus analytique, de mémoire elle devient science, l’humain semble se diluer dans le temps, l’écrit devient plus rigide, le passé perd sa lumière.

Je me suis aussi aperçu, moi même, ayant été longtemps imprégné par mon milieu familial  par la doxa historique,  que chaque faits de cette période exposée au travers de ce prisme déformant  n’est que la partie  émergée de l’iceberg, et que pour se former une connaissance il faut appréhender la partie immergée de l’iceberg.  Chercher, croiser, analyser les points de vues,  extirper les informations,  lire, relire, disséquer les  faits ; un travail lent de médecin légiste, autopsiant le cadavre du passé, y recherchant des indices pour expliquer sa vie et sa mort. 
Peu à peu, petite touche par petit touche, lentement,  se construit en moi une perception historique, dans laquelle je vais puiser pour écrire EST et aussi un livre (car tant de choses sont à dire). Même si ce  travail d’introspection dans ce passé me laisse triste et dubitatif quant à la capacité de l’Homme à créer le bien, je souhaite apporter ma modeste contribution à ce que fut le Front de l’Est, moins pour ceux qui verront le film ou liront le livre,  (en m'éloignant des débats stériles…)  que pour ceux et celles qui sont morts deux fois, dans la vie et dans le souvenir.