vendredi 21 mars 2014

Le cinéma sans image



















Est ce que le cinema narratif ne relève t-il pas du réflexe pavlovien ?  Ne s'adresse t il pas qu’à notre cerveau reptilien : angoisse, peur, force, pulsion ?
L'écriture des scénarios s'est standardisé sous l'impulsion de l'industrie du cinema Américaine, à tel point que le moindre émotion, le moins rebondissement est programmé à la minute près, le spectateur réagissant à des stimuli et non à une perception qui élabore lui même. Le « Fordisme » a fait des émules,  les séries et les films sont fabriqués à la chaine. L'image aussi est devenue une représentation technique de la réalité, elle n’est plus une émotion perçue. Elle est désincarnée. Désenchantée. Le Chef Opérateur est, presque, devenu un Directeur Produit.

Le cinéma ne semble  n’exister que par la narration, qu’au travers d’elle. Il est étonnant de voir les court métrages  de jeunes réalisateurs/trices actuelles, il n’y a pas d’image, juste une narration ( avec comme à l’école, une introduction, un développement, une chute, évidement la moins attendue par le spectateur). Vraiment, est  ce cela le cinéma ?

« Persona »,  d’Ingmar Bergman n'est pas un film narratif, il ne raconte pas à proprement parlé une histoire, il articule des émotions, il tisse un ensemble de réflexions, de ressentis. Le début du film relève du cinéma abstrait, son langage à ce moment là est celui de la poésie visuelle, dont relève aussi un long plan où tout est flou, et où on distingue la silhouette de Liv Ullman traversant la pièce jusqu'à la fenêtre…Ingmar  Bergman l'homme des visages, de la lumière est aussi l’homme de l’image sur laquelle s’appuie l’émotion, et bien que ces scènes de violence sont épurées, on y ressent la violence pure, celle du désir d'anéantir l’autre.
R.Depardon dans « Une femme en Afrique », lui aussi ne raconte pas d'histoire, il entrelace ses émotions au travers la lumière, l'ombre, l'entrebâillement d'une fenêtre. Il s'ouvre aux mondes intérieurs. Et pourtant nous comprenons, et pourtant nous nous émouvons…

La narration a tellement colonisé le cinéma, que l’on peut se demander si notre cinema actuel, n’est pas un cinema sans image, un cinema d’absence,  dépossédé de sa matière même. Un cinéma de flux narratif, comme on parle des émissions de flux à la télévison, celles qui ne sont que marchandises, celle qui  n’existent que pour les revenus publicitaires qu’elles génèrent.

Dans le documentaire "A ciel ouvert"  de Mariana Otero (un documentaire  sur un institut pour enfants autistes aux méthodes ouvertes, et "anti psychiatriques »)  l'absence d'une esthétisme de l’image est sidérante. Filmée avec une EX1, son rendu pétant de saturation, son manque de finesse (4:2:0), sa grande profondeur de champs, font que l'image relève plus du reportage pour le JT de fin de soirée  qu'un parti pris associant l'image en tant que composante du regard posé sur une situation.
La télévision  impose sa vision, plate, linéaire.  Les cadrages aussi, sont empreints de cet esthétisme de reportage, voir ce n'est pas regarder.  Si on compare  ce documentaire  a celui  de R. Depardon sur l’asile de San Clemente.  R.Depardon pose un regard, il capte l’émotion. Il est seul.  Sa camera est son regard et non un outil a enregistrer des images. Image et discours ne sont pas dissociés, mais pleinement réunis. Ne font qu’un. 
(A noter que le générique de « A ciel ouvert «  est incroyablement long , hormis les remerciement compréhensibles, l'équipe technique est imposante même si le dossier de presse veut nous faire croire que la réalisatrice est seule.)


Le cinéma sans image est peut être la forme la plus aboutie du cinema comme marchandise, il est le moment où la narration est parvenue à l’occupation total du sens. Ce paroxysme est porteur de changement,  viendra le temps des impressionnistes, des cubistes, qui feront du cinéma nouveau, car  l’absence de narration, la  non causalité sont au film ce que l’abstraction est à la peinture : une perception  intérieure de la réalité, porteuse de sensation.